top of page

Colloque International

 
ECRANS, CORPS, ENVIRONNEMENT NUMERIQUE :
L’INTERIORISATION DES ECRANS ET SON IDEOLOGIE
​
14 Novembre 2019
 
Collège des Bernardins, 20 rue de Poissy, 75005, Paris
 
organisé par
Collège des Bernardins et Université Jean Moulin Lyon 3
​
sous la direction de Mauro Carbone et Gemma Serrano
​
avec le soutien du Projet Bourgeon 2019,
Université Jean Moulin Lyon 3

​
 

unnamed.jpg

LES PODCASTS du colloque 

​

2019-11-14_Seance_Matin_PARTIE_1_1
2019-11-14_Seance_Matin_PARTIE_1_2
2019-11-14_Seance_Matin_PARTIE_2_compres
2019-11-14_Seance_Apres_Midi_PARTIE_3_co
2019-11-14_Seance_Apres_Midi_PARTIE_4_co

Argumentaire

​

À présent la révolution numérique et, avec elle, la mutation des écrans du statut de médium à celui de techno-prothèse corporelle, sont normalement interprétées selon le paradigme de l’extériorisation et en même temps de l’extension de nos capacités (à partir de celles du corps)   à travers la technologie. Néanmoins, la révolution numérique a amorcé aussi une tendance, inversée mais pas opposée, à l'intériorisation de la technologie. Par cette expression on entend d’habitude l’implantation d’artefacts technologiques dans  notre  corps,  laquelle opérerait de manière à le co-constituer et le refaçonner sans cesse. Tout en partageant cette dernière idée, le présent colloque sollicite à se focaliser surtout sur la tendance – complémentaire à la précédente, mais bien moins évidente et donc encore plus urgente à signaler – consistant dans l’usage, de plus en plus envahissant et contraignant, des organes de notre corps comme des sortes de composantes adjointes d’artefacts technologiques, et notamment numériques. Une question que l’on peut poser est donc la suivante: est-il encore possible de comprendre le problème de la technologie à partir de la relation fonctionnelle entre vivant et milieu?

Si donc certains spécialistes annoncent la prochaine disparition des écrans, on remarquera  plutôt que certains organes de notre corps (l’œil ou la peau, par exemple) peuvent être  impliqués dans le fonctionnement des dispositifs numériques, et éventuellement « augmentés » dans leurs capacités, de manière à fonctionner comme des écrans connectés.

Cette naturalisation des rapports que nous entretenons avec notre environnement numérique comporte la disparition de l’opposition entre objet et sujet, corps et artefact.

En tout cas, qu’il s’agisse de disparition des écrans ou plutôt de leur  intériorisation,  il  est  évident que des mutations majeures dans notre manière de voir et plus généralement de percevoir sont à l’œuvre, et qu’elles ne sont pas sans conséquences sur nos comportements et nos croyances individuels et collectifs. En effet, si une certaine société, ou  époque, ou  culture sont façonnées aussi par leurs manières de pratiquer et de concevoir la  vision, cela ne sera pas sans  implications  idéologiques  et  concernera  aussi  la  manière  d’imaginer (ou non) la dimension collective. À cet égard, particulièrement emblématiques  paraissent la signification spécifique et le rôle crucial que la notion de « transparence » a pris de nos jours. Notion qui  peut  être  comprise  comme  vecteur  normatif  d’un  imaginaire  numérique partagé. En effet, une telle notion, utilisée dans une signification suggérant le manque de toute médiation et donc une proximité avec la signification d’« immédiateté », est devenue centrale non seulement dans le domaine médialogique et, plus généralement, dans  la culture visuelle, mais aussi dans le langage politique. Comprise comme « immédiateté », la transparence a pu dès lors être  intégrée  parmi  les  arguments  critiques  à  l’égard  de  la  démocratie représentative affirmés par les mouvements populistes, dont l’idéologie pourrait donc être définie comme ignorance – involontaire ou délibérée – des médiations.

C’est sur cette convergence entre une tendance technologique et une tendance politique à mettre en cause l’incontournable fonction culturelle des médiations que le présent Colloque vise à solliciter une réflexion transdisciplinaire  approfondie  ainsi  que  l’implication de spécialistes nationaux et  internationaux  de  très  haut  rang  dans  des  disciplines  liées  à  ce domaine.

​

​

​

Programme

 

 

09h00 - 09h15           Salutations

​

Séance du matin, présentée par Jacopo Bodini (Université Jean Moulin Lyon 3)

 

09h15 - 09h45          Mauro Carbone (Université Jean Moulin Lyon 3)

 

09h45 - 10h20         Dork Zabunyan (Université Paris 8) 

 

10h55                        Amélie Cordier (Hoomano Lab, Lyon) 

 

11h10                         Pause-café

 

11h10 - 11h45            Gemma Serrano (Collège des Bernardins, Paris)

 

11h45 - 13h15            Disputatio coordonnée par Graziano Lingua (Università di Torino)

 

13h15 - 15h00           Pause déjeuner

 

Séance de l’après-midi, présentée par Alessandro De Cesaris (Università di Torino)

 

15h00 - 15h35           Emmanuel Alloa (Université de Fribourg en Suisse)

 

15h35 - 16h10            Richard Grusin (University of Wisconsin–Milwaukee)

 

16h10 - 16h45            Bernard Stiegler (IRI – Centre Georges-Pompidou)

 

16h45 - 17h15             Pause-café

 

17h15 - 18h30             Disputatio coordonnée par Antonio Somaini (Université Paris 3)

​

​

​

Résumés des interventions

​

​

Emmanuel Alloa

« Transparances » / « Différances ». La logique de l’immédiation.

 

L’ère des médias est une ère du soupçon : les médias sont suspectés de fausser la réalité, de manipuler l’information et de donner à voir une image biaisée des choses. En guise de réponse, on observe actuellement une puissante aspiration d’un monde sans médiations, où le réel nous serait livré en toute transparence. Les écrans eux-mêmes promettent une perméabilité générale et une prise immédiate, tactile et empathique, avec des situations pourtant distantes, et les images se veulent immersives, comme dans ce projet de réalité virtuelle Carne y Arena (2017) du cinéaste Alejandro G. Iñarritu qui plonge « le spectateur dans la dure vie d’un immigré ».

Il est important d’interroger les raisons, morales et politiques, de cet inapaisable désir de transparence et ses effets ambigus. Des écrans dont les bords ont disparu et qui saturent notre horizon perceptif sont une illustration parfaite du paradoxe inhérent à toute transparence : apparence d’unité, elle n’est pourtant acquise qu’au terme d’une transposition qui doit se faire oublier pour aboutir. L’immédiateté est acquise au prix d’une « immédiation » dont l’intervention tentera de dégager la logique interne. Tout comme Derrida indiquait jadis que dans tout retour du Même, il y a immanquablement du différé – Derrida appelait cela l’opération de la « différance » -. Pourquoi aujourd’hui la transparence n’est pas un état originel, mais le résultat d’une « transparance » ?

 

 

Mauro Carbone
Redevenir des écrans.

 

« Faire écran » est tout d’abord une fonction du corps. Celui-ci peut donc être caractérisé comme « proto-écran ». Toutefois, la fonction de « faire écran » peut se détacher du corps et être produite par un « objet technique » qu’on appelle précisément « écran ». Celui-ci s’avère donc une prothèse du corps, au sens spécifique d’artefact qui en accroît certaines capacités, par exemple celle de faire de l’ombre, en même temps en les extériorisant et en les réinvestissant dans le façonnement de notre rapport sensible au monde. L’histoire des cultures humaines est peuplée d’objets techniques remplissant la fonction d’écran.

La révolution numérique semble annoncer, pour l’avenir proche, la tendance à réattribuer de plus en plus une fonction d’écran à notre corps, ou mieux à certains de ses organes comme les yeux ou la peau, en les utilisant comme des sortes de composants adjoints d’appareils numériques connectés. Si donc la fonction écranique des corps semble en train d’être remise au centre de notre expérience, la même tendance semble être sur le point d’attribuer une fonction prothétique, plutôt qu’à des objets techniques, précisément à des organes de nos corps, les utilisant comme ce qui pourrait alors être qualifié de quasi-prothèses.

 

 

Amélie Cordier
Les robots sociaux : une étape nécessaire sur la voie de l’intériorisation des écrans ?

​

Il est aisé d’observer que la révolution numérique a conduit à une augmentation exponentielle du nombre d’écrans qui nous entourent, mais aussi à une diversification des formes et des rôles de ces écrans. Mais plus important encore, cette prolifération de supports tend à changer progressivement notre rapport à ces écrans et notre rôle dans la production des contenus qu’ils diffusent. Ces écrans tendent à être de plus en plus “fonctionnels” et de plus en plus individuels. Le contenu qu’ils diffusent n’est plus commun à un groupe, il n’est plus consolidé, préparé, élaboré et médié pour transmettre un message, au contraire, il tend à être instantané. Il est souvent individualisé, personnalisé. Quant à nous, nous cherchons de plus en plus à être acteurs du contenu : nous le sélectionnons, nous le personnalisons… mais surtout nous cherchons à le produire et parfois à le partager.

En somme, la transformation des écrans induit une transformation dans notre manière de voir et de percevoir le monde, et par conséquent, dans notre façon d’interagir avec lui.

On peut légitimement s’interroger sur les nouveaux modes d’interaction avec les objets numériques et avec les écrans. Il ne s’agit plus seulement “d’allumer l’écran” pour en recevoir le contenu, il faut aujourd’hui interagir avec lui pour le choisir, le consulter, l’aimer, le critiquer, le noter, le partager et le créer. Les codes d’interaction avec ces technologies sont en train d’être inventés et ils nous transforment autant que nous les transformons. Il est difficile de se projeter sur la façon dont nous interagirons avec les écrans de demain, qu’ils soient externes, intériorisés, qu’ils soient physiques ou qu’ils prennent la forme de quasi-prothèses.

L’intervention défend la thèse selon laquelle les robots sociaux d’aujourd’hui peuvent être considérés comme une forme d’écran et qu’il nous permettent- d’étudier comment les humains interagissent avec cette technologie en pleine mutation et ainsi de contribuer à construire les codes de l’interaction de demain. Plusieurs dimensions sont évoquées : le langage, les nouvelles formes d’interaction, le rapport au corps, la spécialisation des différents écrans en rôles fonctionnels et enfin, l’engagement émotionnel qui sous-tend le développement de nombreux processus.

 

 

Richard Grusin
Screening White Supremacy: Trump, Twitter, and Total Mediation.

 

In the Trump presidency, media and mediation function as everyday acts of terrorism through screenic violence. In the Trump era the greatest terrorist threat to American social and political order is not radical Islamism, cyber warfare, migrants, or climate change, but the threat of Trump’s tweets. Trump is using a strategy of “total mediation,” or gesamtvermittlung, to encourage white supremacists and to establish a regime of white nationalism within the US government. After arguing that Trump’s tweets constitute the greatest terrorist threat to the US public, I will outline what I mean by total mediation, concluding with some preliminary suggestions as to how we might resist the screenic violence of this white supremacist media regime.

 

 

Bernard Stiegler
L’endosomatisation de l’exosomatisation : ce qui fait écran.

 

Alfred Lotka a montré que ce que l’on appelle l’être humain consiste avant tout dans le processus d’une évolution exosomatique. Une intervention pour souligner :

  • toute évolution exosomatique doit être endosomatisée, c’est à dire intériorisée, adoptée par ceux qu’elle n’affecte qu’à cette condition, et c’est le rôle de l’éducation mais aussi de la pensée qui panse ;

  • à présent l’endosomatisation connaît un tournant avec par exemple les neurotechnologies, court-circuitant à la fois la pensée qui panse et l’éducation

A partir de ces deux points de départ, l’intervention tentera de montrer :

  • pourquoi et comment l’endosomatisation telle qu’elle prolonge dans le second cas la disruption est insolvable et insoutenable

  • il faut tirer de tout cela des leçons pour faire face à l’Anthropocène et répondre à la fois à Greta Thunberg et à Antonio Guterres – en particulier quant au déni qu’ils rencontrent.

 

 

Dork Zabunyan
Contrôler le regard, raconter des histoires au cinéma : les tribulations de l'oculomètre.

 

Essentiellement utilisé dans le domaine du neuro-marketing, le dispositif de l’« eye tracking » (ou oculométrie, en français) fait également l'objet de nombreux usages dans le domaine du cinéma. L'examen de nos mouvements oculaires se retrouve par exemple en amont de la fabrication de certains films. De fait, ces mouvements intéressent les producteurs de blockbusters qui y voient la possibilité, en traquant le regard, de saisir parallèlement les degrés d'attention des spectateurs. Le montage filmique, dès lors, n'est plus au service d'une émancipation des masses, comme il avait pu l'être chez les grands pionniers du cinéma, il devient avec l'oculométrie un instrument de contrôle qui transforme l'image en message, c'est-à-dire en un support de signes visuels et sonores supposé avoir le maximum d'efficacité en termes de captation attentionnelle. « L'écran, c'est le message » pourrait d'ailleurs constituer le mot d'ordre de celles et ceux qui trouvent dans le « eye tracking » une technologie censée révéler la vérité sur le fonctionnement de notre système visuel. Nous retrouvons une volonté normative du même ordre dans les hypothèses formulées par des spécialistes du cinéma, essentiellement anglo-saxons, qui emploient les instruments oculométriques pour tenter de déterminer des manières définitives de raconter des histoires avec des images animées, des manières qui parviendraient objectivement à tenir en haleine le spectateur du début à la fin d'un film. En découlent des règles de composition de l'image (place des visages dans le plan, emploi du clair-obscur, déplacement de la caméra, etc.) qui tendent globalement à homogénéiser l'expérience du regard et l'émotion filmique qui peut en résulter. Du neuro-marketing à l'analyse des films, l’« eye tracking » esquisse ainsi la conception d'une image sans reste, qui laisse potentiellement de côté les mille détails qui y gisent où y fourmillent.

L’intervention examinera, à travers les usages dominants de l'oculomètre, une conception relativement réductrice de ce qu'est une image en mouvement, tout en identifiant une définition appauvrie du cinéma comme art des masses qu'elle charrie implicitement

​

​

bottom of page